Les coiffes de Rodia Bayginot en pourvoyeuses d'histoires
Texte de M-José P. Missamemque - février 2019
Comme pour la série Bipèdes, les corps à nouveau deviennent socles et cimaises, vivants porteurs des œuvres de Rodia Bayginot, plasticienne.
Pièces atypiques, sortes de coiffes précieuses grunges et pops à la fois, elles évoquent des icônes de Saintes en majesté, la mode des années 70, un temple Khmer, et même une longue caravane traversant lentement le désert en une époque indéterminée, que remonterait de loin en loin une chevalière enturbannée.
Marcher dans la taïga, Survol de Londres en hélico, Un soir avec Andy, Des orchidées pour Agatha, etc. autant de noms donnés par leur auteure à ces couvre-chefs, conçus en pièce unique, avec une intention tout aussi authentique que celle qu'on retrouve dans ses tableaux : porter sur soi une œuvre de Rodia Bayginot, c'est comme se balader un roman à la main en affichant ostensiblement ce qu'on est en train de lire, dans le but de partager avec d'autres son rêve éveillé.
Des bérets-champis, bonnets toqués, cols-diadèmes pour embellir nos cranes d'atlantes Basilea, de slaves baba yagas, ou d'insolentes hippies assises sans culotte sur le toit d'une voiture cabossée dans un film américain.
Ce sont les mélanges qui produisent cet effet, lorsque Rodia Bayginot faisant fi de toute hiérarchie quant à la soit disant noblesse de tel ou tel matériau, opérant un émouvant brassage de textiles neufs et contemporains, récemment chinés ou sortis de sa collection de tissus anciens, déclenche des fantasmagories et des souvenirs, des oxymores de couleurs et de touchers qui ô surprise ! vont jusqu'à l'éblouissement, tant on est étonné de trouver tout cela sous la forme d'un chapeau.
Se pose ainsi le questionnement du statut de ces créations qui ne sont ni design, ni artisanat (en unique exemplaire), ni couture (Rodia Bayginot n'est pas chapelière), mais pourquoi pas sculptures : la matière textile en fait des œuvres aussi molles que les montres de Dali dont l'armature rigide, la structure interne serait la tête qui les porte.
La seule condition pour que cela fonctionne est qu'une connexion s' opère, un peu comme pour les « i-pillows » d'une nouvelle de Philippe Ordioni, oreillers connectés qui nous pourvoient en songes.
« Rares sont les femmes qui osent porter mes chapeaux, dit Rodia. Mais celles que je connais ne sont pas plus cinglées que je ne le suis, peut-être sont-elles un peu hors normes à certains égards, ni plus ni moins cependant que la plupart des gens. Je ne suis pas certaine que nous ayons envie de nous faire remarquer, nous avons juste envie d'être tout simplement nous-mêmes en mettant des choses confortables et qui nous plaisent. Mes chapeaux ne sont pas ridicules, ou bien tout autant que des casquettes ou des bonnets à pompons dont on se moquait encore il y a quelques années. Ils sont hors-mode et hors style, c'est peut-être ce qui étonne, parfois. Mais la plupart du temps, personne ne les remarque et dans le cas contraire, est-ce si important ? Ce qui compte, c'est que l'on se sente bien, vivantes et entières. »
Ainsi les couvre-chef.fe.s de Rodia Bayginot serait-il une façon d'afficher sa poésie et son identité, de revendiquer une certaine façon d'être au monde dans une féminité assurément affirmée, avec une bonne humeur qui se joue des clichés imposés et des injonctions passagères d'une mode basée sur la consommation de masse.
Ils s'inscrivent dans une œuvre simultanée à la manière de Sonia Delaunay, procédant d'une démarche artistique identique de celle qui amène Rodia Bayginot à dessiner, peindre ou construire en volumes, à présenter des installations. Ils appartiennent à ce qu'on appelle en art « une série », un ensemble de travaux régis par une même obsession formelle, dans une recherche textile et narrative empreinte d'idéologie humaniste qui, tout comme l'art des conteuses fait ressurgir des histoires que nous croyions oubliées.
Femmes qui courent avec les loups * , entendez ces pensées qui dansent sur vos têtes.
* titre d'un essai de de Clarissa Pinkola Estés